Michael Gottheil, Président exécutif, Tribunaux de justice sociale Ontario (TJSO)
Bonjour et merci au comité organisateur de la SOAR de m’avoir invité à proposer mes réflexions sur le groupe des TriO, un an après sa formation. En fait, le regroupement est une entreprise collective à laquelle toute la communauté de la justice administrative de l’Ontario peut et devrait participer. Les séances En famille comme celle-ci offrent une tribune à ceux et celles qui y participent. Voici les sujets que je souhaite examiner ce matin et dont, je l’espère, découlera une discussion nourrie :
Dans un certain sens, on peut soutenir qu’un groupe de tribunaux a les mêmes objectifs que n’importe quel tribunal seul. Par exemple, l’accessibilité, l’équité, le règlement rapide des différends, la prise de décisions fondée sur des principes et s’appuyant sur des motifs clairs, concis et intelligibles, la cohérence, le fait d’être centré sur ceux et celles qui s’adressent aux tribunaux, l’intégrité et le professionnalisme – sont tous des valeurs et des objectifs fondamentaux que les tribunaux chercheront à atteindre. En outre, il est possible de considérer que ces valeurs fondamentales, entre autres, font partie des catégories d’objectifs plus larges que sont l’accès à la justice, la responsabilité et l’indépendance.
Mais un groupe, tout comme les fusions, les regroupements ou les secrétariats de coordination multitribunaux, peut permettre de se rapprocher de ces objectifs de diverses façons en modifiant les structures opérationnelles des tribunaux. L’approche du regroupement énoncée dans la Loi de 2009 sur la responsabilisation et la gouvernance des tribunaux décisionnels et les nominations à ces tribunaux se situe quelque part au milieu de la gamme des structures, ne visant pas tout à fait la fusion et remettant malgré tout en question la notion selon laquelle le cloisonnement demeure la méthode appropriée.
Le point de départ pour bien saisir la nature et la raison d’être d’un groupe se trouve dans l’article 15 de la Loi , qui précise l’objectif d’un groupe et ainsi, les objectifs de l’initiative de regroupement. Il se lit comme suit :
Le lieutenant-gouverneur en conseil peut, par règlement, désigner deux ou plusieurs tribunaux décisionnels comme groupe s’il est d’avis que les questions dont traitent les tribunaux sont telles qu’ils peuvent fonctionner de manière plus efficace et efficiente comme membres d’un groupe qu’isolément.
L’article 15 fait bien comprendre que le raisonnement, qui a amené le gouvernement à affecter des tribunaux précis à un groupe, découle de la nature des dossiers qui relèvent de leur juridiction collective. Il a pour objet de rendre le mode de traitement de ces questions plus efficient et plus efficace que celui de tribunaux qui continueraient d’agir seuls.
J’ajouterais, bien que ce ne soit pas mentionné expressément dans le texte de la loi, qu’il faut également supposer que l’accès à la justice et toutes les valeurs qui s’y rattachent sont un objectif fondamental de l’établissement et de l’évolution de tous les groupes.
J’estime donc que nous pouvons illustrer les objectifs du modèle de regroupement de l’Ontario de la façon suivante – en portant l’efficience à la base, puis l’accès à la justice et l’efficacité du traitement des questions au-dessus, alors que l’excellence à l’échelle du groupe reposerait sur les deux niveaux inférieurs.
Avant de passer aux défis et aux possibilités, j’aimerais faire deux observations :
Il peut être utile de regrouper en deux catégories les défis que nous avons dû relever pour établir le groupe des TriO :
Je ne blâme pas les circonstances qui ont entraîné ces difficultés – en effet, je me réjouis de l’occasion de les affronter – mais il est essentiel de comprendre que non seulement ces problèmes sont difficiles à résoudre en période de changement, ils peuvent aussi venir à dominer la tâche quotidienne du fonctionnement du groupe et la réalisation de son potentiel intéressant.Je ne blâme pas les circonstances qui ont entraîné ces difficultés – en effet, je me réjouis de l’occasion de les affronter – mais il est essentiel de comprendre que non seulement ces problèmes sont difficiles à résoudre en période de changement, ils peuvent aussi venir à dominer la tâche quotidienne du fonctionnement du groupe et la réalisation de son potentiel intéressant.
Laissez-moi donc examiner quelques-unes de ces difficultés.
Constituant le premier groupe de tribunaux de l’Ontario, on voit généralement les TriO comme un élément clé de l’engagement de la province à améliorer et à moderniser la justice administrative dans son ensemble. Pourtant, c’est aux tribunaux regroupés qu’on a laissé en grande partie la recherche d’une façon de contribuer à la réalisation de leurs propres objectifs de réforme. Notre travail dans les TriO se fait dans le cadre d’une approche de la gouvernance des tribunaux qui est non seulement nouvelle en Ontario, mais peut-être aussi unique au monde. Pour rendre les choses encore plus intéressantes, le cadre juridique et stratégique des regroupements est fragmentaire. Dans une très grande mesure, on demande aux TriO de réaliser une nouvelle structure de gouvernance sans que quiconque leur donne vraiment de directives. Comme je vais le dire dans quelques instants, bien que ceci présente des avantages et des possibilités notables, c’est néanmoins difficile étant donné que les intervenants internes et externes veulent connaître les perspectives d’avenir et savoir comment elles s’amélioreront. Que sera, sera a peut-être eu du succès sur Broadway, mais j’ai appris que l’expression n’en aura pas autant dans le domaine de la justice administrative.
La Loi sur les tribunaux autorise les tribunaux à se regrouper là où l’on discerne un lien entre les questions qui relèvent de la compétence de tous. Néanmoins, on n’a pas inscrit dans une suite logique la centaine de lois et politiques qui délimitent le champ de compétence des tribunaux des TriO. C’est une différence importante avec les réorganisations ou les regroupements de tribunaux qui s’opèrent dans d’autres régions du monde, différence qui présentera des difficultés lorsque le message de la convergence, qui pourrait découler des regroupements, se butera à la réalité juridique de mandats statutaires bien définis et différents.
De même, on a constitué le groupe des TriO, dont le développement est en cours, sans inscription sous-jacente des lois constitutives des tribunaux dans une suite logique. En conséquence, chaque tribunal d’un groupe a sa propre existence légale, dispose d’un groupe d’arbitres qui lui sont expressément affectés et, souvent, possède des pouvoirs différents. De même, les intervenants risquent de continuer de s’identifier à un tribunal en particulier plutôt qu’aux TriO.
La transformation organisationnelle est intrinsèquement difficile. Les employés et les membres d’organisations, particulièrement de celles qui fournissent depuis longtemps des services à une grande communauté d’intervenants, sont en droit de se sentir fiers de ce passé. Cet attachement au passé et à l’héritage, qui est source de motivation, est encore plus solide là où, comme c’est le cas ici, les organisations exercent des mandats d’intérêt public importants.
De manière générale, cet attachement se manifeste dans la volonté de préserver l’« identité » ou la « culture distinctes » de l’organisation. De plus, les gens acquièrent naturellement l’habitude de la « façon dont on fait les choses » et s’y sentent à l’aise.
Dans la même veine, les intervenants de l’extérieur et ceux qui ont recours aux tribunaux se méfieront du changement. Cette méfiance peut découler d’intérêts commerciaux précis, de l’incidence du changement sur l’interaction avec le tribunal, de la question de savoir si la qualité du service va s’en ressentir et, dans l’ensemble, de l’orientation possible des changements.
Toutes ces questions sont des préoccupations légitimes exprimées par ceux qui participent au changement et qui seront certainement touchés par celui-ci. Toutefois, ce sont des difficultés importantes lorsqu’on tente de créer une nouvelle culture, d’établir une mission et un ensemble de valeurs communs, d’obtenir l’appui des intervenants et d’élaborer et mettre en place les structures organisationnelles qui aideront à atteindre les objectifs.
On s’inquiète notamment beaucoup de la possibilité que le regroupement conduise à une dilution des connaissances spécialisées d’un tribunal, à cause des nominations conjointes, par exemple. De même, on craint souvent que les procédures juridictionnelles spécialisées ne changent à cause de la conformité souvent recherchée par une structure plus grande.
Néanmoins, le groupe doit donner une expression concrète à l’intention sous-jacente du législateur en se servant du groupe pour améliorer l’efficacité avec laquelle chaque tribunal constitutif accomplit le mandat qui lui a été conféré par la loi. Il semble que cela nécessite des efforts pour enrichir la jurisprudence de chaque tribunal en apportant une plus vaste gamme de connaissances, d’expériences et de points de vue en ce qui a trait aux affaires qui sont entendues par ce tribunal.
Tout en respectant la tension inhérente et légitime, il convient d’examiner les appels à la « conservation des connaissances spécialisées » à la lumière de la possibilité que ces appels laissent apparaître, dans une certaine mesure, la réticence à sortir de sa zone de sécurité actuelle, à remettre en question les notions existantes de droit et de politique ou à profiter d’une jurisprudence éventuellement enrichie.
Alors que nous tentons de récolter les fruits de la convergence au sein d’un groupe où les questions communes et, en fait, concomitantes, ne sont pas rares, nous devons également affronter les conflits d’intérêts que pourrait créer le regroupement. Plusieurs des activités qui permettent d’établir une cohérence là où les questions se rejoignent – formation conjointe, réunions à l’échelle du groupe, conversations informelles dans les corridors – ou même seulement de consacrer du temps ensemble à améliorer les compétences de base en arbitrage, peuvent également au moins donner lieu à un semblant de conflit dans un éventail tout nouveau d’intérêts privés et professionnels dans le groupe.
Certains des choix stratégiques pour régler ce problème pourraient être difficiles à faire ou être impopulaires, mais dans une très grande mesure, le potentiel positif d’une initiative de regroupement peut être assombri ou pire encore, si les conflits d’intérêts finissent par avoir un rapport avec le regroupement, dans l’esprit des membres du public ou dans celui des magistrats.
Ayant examiné certaines des difficultés qui se présentent à un groupe et auxquelles les TriO ont été confrontés, permettez-moi maintenant de faire ressortir certaines des leçons et des possibilités importantes.
En l’absence d’une vision d’ensemble sur la façon dont un groupe peut contribuer à l’augmentation de l’efficacité et de l’excellence d’un tribunal, il est essentiel de tenter rapidement d’établir une vision propre au groupe. Les gens ont besoin de connaître la destination le plus rapidement possible, non seulement pour apaiser leurs craintes à propos d’autres destinations possibles, mais aussi pour engager leurs idées et leur énergie dans cette direction. S’il est possible de considérer un groupe comme un moyen d’atteindre ses objectifs communs, alors l’incertitude et la résistance peuvent laisser la place au soutien et, en fait, alimenter la créativité et l’enthousiasme.
Comme l’exige la Loi sur les tribunaux, l’un des premiers exercices auxquels nous nous sommes livrés est l’élaboration pour tout le groupe d’un énoncé de mandat, de mission et de valeurs fondamentales. En cours d’exercice, il est devenu apparent que le groupe offrait une occasion d’y insérer des éléments d’un plus large éventail d’expériences, de points de vue et de contextes. Cela nous a permis non seulement de réussir rapidement à élaborer une méthode unifiée au sein des TriO, mais aussi, parce que notre vision, notre mandat et nos valeurs fondamentales ont été établis suivant un processus de planification stratégique pour l’ensemble des TriO, qui associe en bout de ligne tous les employés et les membres, nous avons pu recourir au processus pour aider à briser les cloisons d’usage et profiter de l’expérience et des connaissances spécialisées les plus vastes.
Nous avons également élaboré de nouvelles descriptions de poste à l’intention des présidents associés, des vice-présidents et des membres. Elles sont uniformes dans tous les TriO et incluent des caractéristiques importantes telles que l’engagement de tous les membres envers la mission, le mandat et les valeurs de base, un Code de conduite, des processus de révision des décisions, la collégialité et d’autres aspects d’un tribunal moderne qui souscrit aux principes d’excellence et d’accessibilité.
De plus, et point important, nous avons conféré aux présidents associés des responsabilités de gouvernance pour l’ensemble des TriO plutôt que d’en faire des chefs séparés et délégués de tribunaux individuels.
La mise au point de ces documents de gouvernance et de responsabilisation ainsi que d’une structure organisationnelle pour l’ensemble des TriO a permis à tous les membres et employés de réfléchir à leur rôle et à leurs responsabilités de façon plus générale. Il s’ensuit que, de plus en plus, les gens cessent de parler de conservation d’une identité et d’une culture distinctes, pour parler plutôt d’une culture commune et de ce que chacun peut apporter à titre de professionnel dans son domaine de spécialisation respectif.
Il est possible d’élargir la base d’expériences et de connaissances des arbitres grâce à des nominations conjointes stratégiques et sélectives, à une formation par rotation poussée et au partage de locaux. Cette démarche permet non seulement de favoriser les synergies entre questions auxquelles j’ai fait référence plus tôt, mais aussi de reconnaître l’importance de normes communes rigoureuses en matière de pratiques procédures juridictionnelles accessibles dans un groupe.
Parallèlement, la satisfaction et la mobilité professionnelles devraient s’en trouver accrues.
À cette fin, nous avons constitué un comité de perfectionnement professionnel pour l’ensemble des TriO. Non seulement ce comité va-t-il élaborer un programme inter-tribunaux, mais il va aussi coordonner toutes les initiatives de formation propres à un tribunal afin de les relier à un programme plus général et de profiter de toutes les occasions d’y engager les autres tribunaux du groupe.
Parallèlement, nous faisons en sorte de porter une attention comparable aux compétences spécialisées du personnel affecté au traitement des affaires tout en examinant les possibilités d’économies et de synergies. Cela correspond à l’avis selon lequel on devrait considérer les arbitres et tous les employés du tribunal qui traitent les affaires comme une équipe dont les membres servent ensemble les particuliers qui leur présentent des différends à résoudre. Il est indispensable de pouvoir compter sur un personnel qui connaît très bien la jurisprudence, les intervenants et les procédures de chaque tribunal pour renforcer et stimuler cette capacité, ainsi que le respect et la confiance réciproques qu’elle exige entre les arbitres et les membres du personnel.
Permettez-moi de conclure en reprenant les deux thèmes du début – d’un côté, l’orientation législative claire et ciblée des objectifs du regroupement – l’efficacité, l’accès à la justice et l’efficacité du traitement des questions qui appuient tous l’excellence en justice administrative, et de l’autre, le caractère unique de la notion ontarienne de groupe et le manque apparent de disposition législative à propos de la gouvernance et de la structure organisationnelle d’un groupe.
Bien que le dernier thème puisse être perçu comme une faiblesse, en fait, le manque de disposition législative spécifique à la gouvernance et à la structure organisationnelle donne une occasion de constituer et de développer un groupe particulier en fonction des besoins de ceux qui s’adressent aux tribunaux et des mandats conférés par la loi. De la même façon, la souplesse offerte par le cadre de regroupement général permet à l’organisation d’évoluer de façon à miser sur sa force collective et l’étendue de son expérience.
En fin de compte, un groupe, ça rappelle tellement l’Ontario – un monde à découvrir.